La bataille du rock

Le paysage musical au début des années 60 en France … dur, dur !


Les chanteurs populaires tenant le haut du pavé de "la bonne variété française" - pour reprendre une expression couramment employée par les médias d'alors - s'appelaient Edith Piaf, Georges Guétary, Dalida, Aznavour, Dario Moreno, les Compagnons de la Chanson … Il y avait aussi "la chanson rive gauche" : Philippe Clay, Jean Ferrat, Léo Ferré … et on pourrait y ajouter quelques inclassables comme Georges Brassens. Pour la danse c'était l'accordéon musette qui régnait sans partage. Ces artistes étaient tous d'authentiques créatifs et de grands interprètes, mais tout cumulé cela faisait très "tsouin, tsouin" pour beaucoup de jeunes qui aspiraient à autre chose
C'est à partir des caves de St. Germain-des-prés que le jazz s'était fait une place dans la période chaotique de la libération; mais souvent joué dans des lieux spécialisés, confiné dans les milieux intellectuels et étudiants, il restait pour le principal une musique élitiste.

Comme il fallait bien par moment se donner l'alibi de la modernité, on était arrivé vers la fin des années 50, à considérer comme acceptable l'apparition d'un avatar très dénaturé de la musique américaine, "la musique yéyé bien de chez nous", avec Frank Alamo, Richard Anthony, Johnny Hallyday, Sheila, Sylvie Vartan etc ... 

Le principal mérite de cette assez mièvre et éphémère vague "yéyé", aura été d'amorcer une rupture avec l'ancien monde de la variétoche à pépère et de propulser quelques nouveaux talents. Pour le reste c'est probablement ce qui inspirera la saillie du Beatles John Lennon interviewé à ce sujet: "Le rock français, c'est un peu comme le vin anglais !". Il est vrai que en l'état ça ne pouvait que s'améliorer ... alors que pour le vin anglais c'était déjà définitivement foutu. Comparaison n'est pas raison dit-on ! 

... alors on était entré en guerre contre le rock ...
 
Il faudra attendre 1964 et un autre débarquement ...
... à l'assaut des digues de la bienséance ...
... et avec quelle violence ! Les thuriféraires de "la bonne variété française" avaient déjà en travers de la gorge le biais du "yéyé". 

On se souviendra de ce directeur des programmes de l'une des 4 radios existantes en France à l'époque, qui cassait les disques en déclarant à l'antenne qu'"on ne les entendrait pas sur sa station" !

Vraiment le rock c'en était trop ! et ils se répandaient dans les médias d'alors, en affirmant en chœur et avec une conviction inébranlable, qu'"on en entendrait plus parler dans 2 ou 3 ans" ... non mais !!!

Le beat rock joué par les Spirales, objet de tous les anathèmes, était classé sans ambages dans la catégorie "musique de délinquants", celle des voyous, ceux que l'on appelait "les blousons noirs". 

Du moins c'était l'image qu'en avait laissé dans le public français certains films américains des années 50, comme "Graine de violence" dans lequel le rock de Bill Haley était clairement associé à cette façon d'être. Aussi était-ce déjà une provocation que de porter un blue-jean et des cheveux un peu long au dessus des oreilles ... alors de surcroit, être gratteux et chanter du rock en anglais frisait la correctionnelle sans droit à l'appel.

Pourtant ceux qui jouaient de la musique rock n'avaient rien de délinquants. Ce n'était  simplement que des jeunes s'affranchissant du conformisme médiatique ambiant. Ils voulaient restituer une musique, rarement trouvée dans les bacs des disquaires, mais qu'ils entendaient le soir sur les ondes crachotantes de la radio anglaise, ou, pour certains, aux environs des bases américaines alors installées en France.

Il faudra attendre 1964 et un autre débarquement, celui des groupes de rock anglais avec les Beatles et les Rollingstones pour faire craquer les digues de la bienséance ... le rock avait gagné. En France, sous ses diverses formes, le beat rock anéantira la "vague yéyé" et pénètrera profondément au cœur de tous les styles musicaux de la variété et de la danse ... un tabou était tombé, cela appelait peut-être aussi de façon souterraine d'autres évolutions sociétales à venir.


... et en 1961 à Rennes tout va très bien ... 


En 1961 Rennes était une ville tranquille, bien différente de celle que Marquis de Sade connaîtra 16 ans plus tard.

Rock années 60 à Rennes - Place de la Mairie
... au début des années 60, une ville bien tranquille ...
La ville était dominée par une classe de commerçants et par sa vie de gros centre administratif. C'était aussi une ville de garnison; en plein centre, le quartier du Colombier d'aujourd'hui était occupé par une caserne. 
Mais d'un autre coté, 1961 sera aussi précisément l'année d'un tournant pour la cité: l'inauguration de l'usine Citroën de La Janais.

Rennes était également une ville étudiante, bien moins importante que ce qu'elle deviendra plus tard. De petites facs étaient disséminées à proximité du centre ville. Pas de grandes cités universitaires; il faudra attendre 1965 pour voir débuter la construction du premier campus à Beaulieu. Les étudiants non rennais étaient pour beaucoup logés dans des chambres louées chez les particuliers; dispersion évidemment peu propice aux rencontres et au développement d'activités extra-estudiantines.

La construction du nouveau quartier de Maurepas venait de s'achever avec son alignée de grandes tours, les immeubles alors les plus hauts de Rennes (voir photo "Histoire des 60's"). Ce quartier commençait à accueillir de nouveaux rennais, souvent venu des campagnes pour travailler dans des industries naissantes, mais aussi vers 1962/1963 toute une population de rapatriés venant d'Algérie.

Rennes 1961 Tout va très bien
L'importance des évolutions à venir dans les années 60 n'avait pas encore affecté la sociologie et la vie des rennais. 

Le modèle culturel datait du début du siècle ... ou du moins en était-il toujours très proche. 
Le samedi soir, les jeunes allaient danser au bal musette de Pol Renimel dans la salle du cercle Paul Bert rue de Paris. Périodiquement une vedette de la "variété" venait un vendredi ou un samedi soir remplir une salle de cinéma, de temps en temps un "Festival des variétés" qui ne risquait pas de dynamiter grand chose ... L'harmonie municipale enchantait les dimanches après-midi ensoleillés au kiosque du Thabor et les opérettes faisaient le plein au théâtre municipal. Quelques artistes locaux (musiciens de concert classique ou de jazz, artistes de cabarets ...) complétaient l'offre.

Rennes, en gros bourg de province éloignée, restait peu sensible aux influences extérieures. La ville vivait paisiblement et n'était pas prête à laisser cette harmonie brisée par un vacarme venu d'Amérique, "go go, go johnny go ... johnny be good !!!" ... arrrgh !!! ...quelle horreur !!!

Le rock fut ovationné d'emblée par les jeunes rennais, mais il faudra là aussi attendre fin 1964 pour voir les préjugés commencer à s'évanouir et les institutionnels locaux prendre conscience, au moins dans le discours, que ce n'était pas qu'un épiphénomène ... beau rétablissement, moins de 20 ans plus tard Rennes deviendra en France "la ville du Rock".


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